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Un chemin de progression : Interview de Pierre Lheureux, Kyoshi 7 Dan, arbitre international

Il est parvenu au 7 Dan : le plus haut grade atteint par les meilleurs kendoka français. Pierre Lheureux évite les clichés et les phrases toutes faites, ses paroles reflètent le dépouillement et la matérialité du geste, elles sont précieuses ; car sur le kendo – l’art du sabre japonais – il est rare qu’un maître s’exprime…

Qu’est-ce qui vous a amené au kendo ?

Difficile à dire. Des rêves de jeunesse ; l’idée que la victoire du faible sur le fort est possible… Le kendo est accessible à tous, quels que soient votre âge, ou votre niveau sportif. Il propose la pratique d’un art martial traditionnel, sans violence et sans brutalité. Et si l’on persévère, cela peut vraiment apporter quelque chose de profond, et pour longtemps. Car ce n’est pas seulement avec l’autre que l’on travaille, c’est aussi sur soi. C’est difficile parfois ; mais la progression sur la voie de la maîtrise apporte de grandes satisfactions.

Aujourd’hui, 35 ans plus tard, qu’est-ce qui vous paraît fondamental ?

Si j’arrive à placer un beau point dans un combat avec un adversaire très fort, c’est un instant de grand plaisir. Mais ce n’est pas ce qui compte. Rechercher la victoire est un peu dérisoire. L’agressivité est vaine ; elle est proche de l’aveuglement. Le kendo, c’est le contraire : l’émergence de valeurs humaines primordiales. La patience, le sang-froid, la lucidité… Elles permettent d’affronter bien des difficultés de la vie. Ce qui compte avant tout, c’est ce chemin de progression personnelle. Il est ouvert à tous !

Le kendo est un art pour parvenir à soi ?

Disons que chacun pratique comme il veut. Le kendo peut aussi être abordé comme un simple loisir. Quant à parvenir à soi… chacun suit son propre chemin ! Il en existe beaucoup, et le kendo n’est pas au-dessus des autres. Quelle que soit l’activité à laquelle on choisit de se consacrer, loisir, sport, art ou encore artisanat, il est bon de persévérer, de chercher à atteindre un certain niveau dans son domaine. Parce qu’il va arriver un moment où cela devient autre chose qu’un loisir, autre chose qu’un sport ; où votre être profond sera pris dans cette activité. Quand la pratique commence à vous transformer, c’est alors que l’on peut parler d’art.

Vous auriez pu suivre une autre voie ?

Oui, bien sûr. J’ai fait beaucoup d’escalade, de vélo, de marche, par exemple. L’important reste la pratique. Pour progresser, il faut prendre appui. La pratique offre cet appui sur lequel prendre prise ; ce n’est pas le cas des idées abstraites… C’est de cette confrontation avec le monde et avec soi, que vous tirez les enseignements pour avancer. En cela, toute pratique peut être valable. Pour un tennisman par exemple, la démarche peut très bien être la même. La seule différence est qu’en ce qui concerne le kendo, l’impact de la pratique sur l’esprit, son intérêt sur le plan du développement personnel, ont été décrits, théorisés par les moines zen notamment. Mais je soupçonne les grands sportifs d’aujourd’hui de se référer souvent aux arts martiaux, et même de puiser dans le bouddhisme zen, des méthodes de respiration, par exemple…

Vers quoi mène la voie du kendo ?

C’est un travail de longue haleine. Une quête de la simplicité, qui est l’une des choses les plus difficiles à atteindre ! Je ne sais pas, peut-être si l’on continue sur ce chemin, parvient-on à un état de plus grande présence au monde ; la capacité d’être un peu plus vivant, ici et maintenant. Et qui sait si ce chemin que le kendo nous a fait suivre ne demandera pas à être quitté, parce qu’il ne sera plus nécessaire…